Libération | Cambodge, le réveil amnésique d’un pays

Par Arnaud Vaulerin, envoyé spécial à Phnom Penh

A l’image de sa capitale, Phnom Penh, le royaume, qui commémore ce lundi les 40 ans de la fin du génocide khmer rouge, est en pleine transformation. Mais malgré les progrès économiques, les inégalités s’accroissent, tandis que la mémoire des crimes de l’ancien régime communiste est reléguée au second plan.

On pourrait commencer ici l’histoire du Cambodge d’aujourd’hui. Sur le pont Monivong qui enjambe la rivière Bassac à Phnom Penh. Il y a quarante ans, c’est par cette route nationale 1 que sont entrées les forces vietnamiennes dans la capitale cambodgienne. Au moins 110 000 combattants expérimentés et équipés venaient chasser les Khmers rouges, responsables de la mort d’au moins 1,7 million de personnes entre avril 1975 et janvier 1979, l’un des pires génocides du XXe siècle.

Ce 7 janvier 1979, un homme fait son retour au pays dans les camions des soldats de Hanoi : Hun Sen, ancien commandant khmer rouge qui, un an plus tôt, avait fui les purges de Pol Pot (frère numéro 1 du régime). Quarante ans plus tard, à 66 ans, il est toujours là, plus que jamais. Indéboulonnable Premier ministre, autocrate, sûr de son fait et fier d’être à la tête d’un pays à la croissance arrogante de 7 % et à la jeunesse conquérante, où les moins de 30 ans représentent près de 70 % de la population.

Hun Sen doit présider ce lundi aux commémorations de la «libération» du pays dans le stade olympique. Et se poser à nouveau en petit père du peuple khmer et d’un pays propulsé dans une métamorphose qui a des airs de rupture et de fuite en avant.

Il n’y a qu’à se promener dans Phnom Penh pour être saisi d’un vertige. En 1979, l’ancienne «perle de l’Asie» promue par les colons français du XIXe siècle était comparée à Guernica et à la Belle au bois dormant, selon l’ex-journaliste Khieu Kanharith, devenu ministre de l’Information. Si cette dernière image est juste, la première est erronée. Durant la terreur khmère rouge, Phnom Penh n’a pas été bombardé à l’instar de la ville espagnole. Les «révolutionnaires de la forêt» ont abandonné la capitale après l’avoir vidée de toute sa population en l’espace de deux-trois jours. Un fait quasi unique dans l’histoire des guerres.

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