Asialyst | Cambodge : un casino des Khmers rouges au milieu de la jungle
Casino à Païlin, au Cambodge. La ville frontalière avec la Thaïlande a aujourd'hui fortement développé son industrie du jeu. |
Par Jacques Bekaert
Qui peut affirmer que les Khmers rouges avaient effacé toute trace de capitalisme au Cambodge ? Dans les années 1980, Jacques Bekaert, journaliste devenu diplomate, se rend à Pailin à la frontière thaï, pour évaluer s’il y avait des lépreux et quelle aide apporter. Il tombe alors au milieu de la jungle sur ce qui était sans doute le seul casino khmer rouge.
Ce n’était pas mon premier voyage a Pailin. Cette fois, j’étais venu avec le conseiller militaire des Nations Unies, mon compatriote et ami Jan Vanderstein. Notre intention était, entre autres, de rencontrer trois Khmers Rouges qui avaient décidé de se rendre aux autorités de Phnom Penh : Chan Youran, Im Sopheap et Kor Bun Heng. Je les connaissais pour les avoir vu souvent au siège de l’ONU à New York, lors d’Assemblées Générales, ainsi qu’à Jakarta et en Thaïlande.
Le major et moi-même étions arrivés tôt le matin, pour rencontrer les deux nouveaux « patrons » de la zone, Y Chhien, et le fils de Ieng Sary, Ieng Vuth. Ancien commandant militaire de la division Khmer Rouge 415, Y Chienn nous reçut dans sa nouvelle résidence – un petit palace – qu’il avait faite construire, d’abord par des ouvriers cambodgiens. « Un désastre, nous expliqua-t-il. J’ai donc dû faire appel à des Vietnamiens. Ils sont remarquables. » J’avais noté qu’il portait une grosse montre en or. « En tant que chef, je dois être à la mesure de mon rang. »
Quant à Ieng Vuth, beaucoup plus discret, avec son éternelle tenue grise, il était le maire officieux de la ville de Pailin.
Y Chienn, avec des trémolos de douleur dans la voix, nous expliqua combien les pauvres gens de Pailin et de Samlaut avait besoin de notre aide. Quand je lui confiais que je connaissais bien les trois nouveaux « déserteurs », il donna quelques coups de téléphone et nous dit de nous rendre à la frontière, et de les y attendre.
A quelques 15 km de Pailin, la zone frontalière avait l’ambiance de ce que fut sans doute à l’âge d’or de la conquête de l’Ouest américain, la démarcation entre le Mexique et les États-Unis. Le marche était remplis de produits acheminés en fraude depuis la riche Thaïlande. Les clients ? Avant tout des jeunes gens à la mine patibulaire, arborant avec défi leur artillerie personnelle. Sans oublier quelques jeunes femmes court-vêtues à la recherche de l’âme soeur. En contrebas, un long mur de toile verte. Une touche écologique ?
A l’entrée, un gentleman en uniforme noir, pistolet à la main barrait le passage. D’instinct, je lui parlais thaï. « OK, go in, but no pictures », m’autorisa-t-il.
Derrière le mur se trouvait ce qui était peut-être le seul casino khmer rouge au monde. Si les joueurs étaient tous thaïlandais, venus en famille, avec papa, maman, les grands-parents et les enfants, les croupiers, en chemise blanche, pantalon bleu azur et sandale Ho Chi Minh, étaient clairement d’ancien soldats de l’Angkar*. Combien d’entre eux avaient tué un soir dans le bois proche un malheureux « coupable » ? Combien avaient rejoint volontairement les rangs de ceux que les Vietnamiens et leurs alliés de Phnom Penh appelaient les « polpotistes » ?
On jouait gros. Des liasses de billets de mille bahts. La nourriture, comme dans tous les casinos frontaliers, était gratuite. Pas de boissons alcoolisées. En théorie. Sur un pan du mur de toile verte qui entourait le casino, quelqu’un avait accroche une grande publicité de Coco-cola. Du communisme le plus radical au capitalisme triomphant, le chemin était-il donc si court ?
Plus tard, le major et moi-même avons rencontré nos trois Khmers rouges. Les larmes aux yeux, ils me donnèrent l’accolade, comme à un vieux camarade. Ils étaient impressionnés par la présence d’un officier des Nations Unies. Je savais qu’ils n’étaient point des criminels. Ils avait rejoint Pol Pot et les autres par idéalisme révolutionaire. Maintenant, ils se retrouvaient les mains vides, sans abri. Je leur donnai les journaux et magazines que j’avais apportés spécialement pour eux. Ils étaient avides d’informations sérieuses.
Qui peut affirmer que les Khmers rouges avaient effacé toute trace de capitalisme au Cambodge ? Dans les années 1980, Jacques Bekaert, journaliste devenu diplomate, se rend à Pailin à la frontière thaï, pour évaluer s’il y avait des lépreux et quelle aide apporter. Il tombe alors au milieu de la jungle sur ce qui était sans doute le seul casino khmer rouge.
Ce n’était pas mon premier voyage a Pailin. Cette fois, j’étais venu avec le conseiller militaire des Nations Unies, mon compatriote et ami Jan Vanderstein. Notre intention était, entre autres, de rencontrer trois Khmers Rouges qui avaient décidé de se rendre aux autorités de Phnom Penh : Chan Youran, Im Sopheap et Kor Bun Heng. Je les connaissais pour les avoir vu souvent au siège de l’ONU à New York, lors d’Assemblées Générales, ainsi qu’à Jakarta et en Thaïlande.
Le major et moi-même étions arrivés tôt le matin, pour rencontrer les deux nouveaux « patrons » de la zone, Y Chhien, et le fils de Ieng Sary, Ieng Vuth. Ancien commandant militaire de la division Khmer Rouge 415, Y Chienn nous reçut dans sa nouvelle résidence – un petit palace – qu’il avait faite construire, d’abord par des ouvriers cambodgiens. « Un désastre, nous expliqua-t-il. J’ai donc dû faire appel à des Vietnamiens. Ils sont remarquables. » J’avais noté qu’il portait une grosse montre en or. « En tant que chef, je dois être à la mesure de mon rang. »
Quant à Ieng Vuth, beaucoup plus discret, avec son éternelle tenue grise, il était le maire officieux de la ville de Pailin.
Y Chienn, avec des trémolos de douleur dans la voix, nous expliqua combien les pauvres gens de Pailin et de Samlaut avait besoin de notre aide. Quand je lui confiais que je connaissais bien les trois nouveaux « déserteurs », il donna quelques coups de téléphone et nous dit de nous rendre à la frontière, et de les y attendre.
A quelques 15 km de Pailin, la zone frontalière avait l’ambiance de ce que fut sans doute à l’âge d’or de la conquête de l’Ouest américain, la démarcation entre le Mexique et les États-Unis. Le marche était remplis de produits acheminés en fraude depuis la riche Thaïlande. Les clients ? Avant tout des jeunes gens à la mine patibulaire, arborant avec défi leur artillerie personnelle. Sans oublier quelques jeunes femmes court-vêtues à la recherche de l’âme soeur. En contrebas, un long mur de toile verte. Une touche écologique ?
A l’entrée, un gentleman en uniforme noir, pistolet à la main barrait le passage. D’instinct, je lui parlais thaï. « OK, go in, but no pictures », m’autorisa-t-il.
Derrière le mur se trouvait ce qui était peut-être le seul casino khmer rouge au monde. Si les joueurs étaient tous thaïlandais, venus en famille, avec papa, maman, les grands-parents et les enfants, les croupiers, en chemise blanche, pantalon bleu azur et sandale Ho Chi Minh, étaient clairement d’ancien soldats de l’Angkar*. Combien d’entre eux avaient tué un soir dans le bois proche un malheureux « coupable » ? Combien avaient rejoint volontairement les rangs de ceux que les Vietnamiens et leurs alliés de Phnom Penh appelaient les « polpotistes » ?
On jouait gros. Des liasses de billets de mille bahts. La nourriture, comme dans tous les casinos frontaliers, était gratuite. Pas de boissons alcoolisées. En théorie. Sur un pan du mur de toile verte qui entourait le casino, quelqu’un avait accroche une grande publicité de Coco-cola. Du communisme le plus radical au capitalisme triomphant, le chemin était-il donc si court ?
Plus tard, le major et moi-même avons rencontré nos trois Khmers rouges. Les larmes aux yeux, ils me donnèrent l’accolade, comme à un vieux camarade. Ils étaient impressionnés par la présence d’un officier des Nations Unies. Je savais qu’ils n’étaient point des criminels. Ils avait rejoint Pol Pot et les autres par idéalisme révolutionaire. Maintenant, ils se retrouvaient les mains vides, sans abri. Je leur donnai les journaux et magazines que j’avais apportés spécialement pour eux. Ils étaient avides d’informations sérieuses.
"Khieu Samphan est prêt à se rendre lui aussi", me dirent-ils.
Par la suite, Iam Sopheap recevra un bout de terrain à Pailin. Kor Bung Heng travaillera à Phnom Penh dans une boîte d’électronique, spécialiste d’Internet. « Il est très sérieux », me dit un ancien client.
*Littéralement « l’organisation révolutionnaire », surnom du Parti communiste cambodgien, organe de direction des Khmers rouges.
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