Canonisations de Jeanne Jugan et Damien de Veuster
Aujourd'hui à Rome le Pape Benoît XVI présidera la célébration de la canonisation de cinq nouveaux saints :
Témoin et serviteur... sans retour !
Bâtisseur de communautés
Apôtre des « lépreux »
Semeur d’œcuménisme
L’homme de l’eucharistie
« Le monde de la politique et de la presse ne connaît que peu de héros comparables au Père Damien de Molokaï. Il vaudrait la peine de chercher la source d’inspiration de tant d’héroïsme ! ».Voilà comment le Mahatma Gandhi résume les questions que suscite sa vie !
La voix des sans-voix
Héraut de l’espérance
- Zygmunt Szczesny Felinski (1822-1895), Polonais, évêque, fondateur de la Congrégation des Sœurs franciscaines de la famille de Marie.
- Francisco Coll y Guitart (1812-1875), Espagnol, prêtre de l'ordre des Frères Prêcheurs (dominicains), fondateur de la Congrégation des Sœurs dominicaines de l'Annonciation de la Bienheureuse Vierge Marie.
- Jozef Damiann de Veuster (1840-1889), dit "Père Damien", Belge, prêtre de la Congrégation des Sacrés-Cœurs de Jésus et Marie et de l'Adoration Perpétuelle du Saint-Sacrement (Picpus)
- Rafael Arnaiz Baron (1911-1983), religieux de l'Ordre Cistercien de la Stricte Observance
- Marie de la Croix (Jeanne) Jugan (1792-1879), vierge, fondatrice de la Congrégation des Petites Soeurs des Pauvres
JOSEPH DE VEUSTER, le futur Père Damien ss.cc., est né à Tremelo, en Belgique, le 3 janvier 1840, dans une famille nombreuse d’agriculteurs-commerçants. Quand son frère aîné entra dans la Congrégation des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie, alors que son père le destinait à prendre la tête de l’exploitation familiale, il décide pourtant lui aussi d’entrer en religion et commence, début 1859, son noviciat à Louvain dans le couvent de son frère. Il y prend le nom de Damien.
En1863, son frère, qui devait partir pour la mission des îles Hawaï, tombe malade. Les préparatifs du voyage ayant déjà été faits, Damien obtient du Supérieur général la permission de prendre la place de son frère. Il débarque à Honolulu le 19 mars 1864 où il est ordonné prêtre le 21 mai suivant. Corps et âme, il se jette sans tarder dans la rude vie de «missionnaire de campagne» à Hawaï, la plus grande des îles de l’archipel.
En ce temps-là, pour freiner la propagation de la lèpre, le gouvernement avait décidé la déportation à Molokaï, une île voisine, de tous ceux et celles qui étaient atteints de ce mal alors incurable. Leur sort préoccupe toute la mission. L’évêque, Mgr Louis Maigret ss.cc., en parle à ses prêtres. Il ne veut y envoyer personne au nom de l’obéissance, sachant qu’un tel ordre signifierait une mort certaine. Quatre confrères se présentent : ils iront à tour de rôle visiter et assister les malheureux lépreux dans leur détresse. Damien est le premier à partir ; c’est le 10 mai 1873. A sa demande et selon le désir des lépreux, il reste définitivement à Molokaï. Atteint lui aussi de la lèpre, il meurt le 15 avril 1889. Ses restes sont rapatriés en 1936 et déposés dans la crypte de l’église de la Congrégation des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie à Louvain.
Damien est universellement connu pour être allé partager librement la vie des lépreux séquestrés sur la péninsule de Kalaupapa à Molokaï. Son départ pour « l’île maudite », l’annonce de sa maladie en 1885, et celle de sa mort, ont profondément impressionné ses contemporains de toute confession. Depuis sa disparition, le monde entier n’a cessé de voir en lui un modèle et un héros de la charité. Celui qui s’identifiait aux lépreux au point de dire « nous autres lépreux », continue à inspirer des milliers de croyants et de non-croyants, désireux de l’imiter et cherchant à découvrir la source de son héroïsme.
La vie du P. Damien nous révèle que sa générosité l’a constamment porté à adhérer à une initiative reconnue comme étant celle de la Providence. Les multiples circonstances de sa vie sont autant de signes et d’appels qu’il a su voir et comprendre. En les suivant avec toute la force de son énergie, il a conscience d’accomplir la volonté de Dieu. « Persuadé que le bon Dieu ne me demande pas l’impossible, je vais tout rondement en tout sans me troubler.... » (Lettre au Père Général,21.XII.1866). C’est ainsi qu’au cours d’une retraite à Braine-le-Comte, il décide de suivre l’appel de Dieu pour la vie religieuse. Il entre dans la Congrégation où l’a précédé son frère. La maladie de ce dernier lui offre l’occasion de se présenter pour partir à sa place. Sa demande est acceptée et il s’embarque pour Hawaï. Là-bas l’évêque évoque le sort des lépreux de Molokaï. Damien se porte volontaire pour les servir.
Damien conçoit sa présence au milieu des lépreux comme celle d’un père au milieu de ses enfants. Il connaît les risques d’une fréquentation quotidienne avec ses malades. Prenant toutes les précautions raisonnables, il peut, pendant plus d’une dizaine d’années, échapper à la contagion. Elle finit pourtant par l’atteindre. Se ressaisissant dans sa confiance en Dieu, il déclare alors : « Je suis heureux et content, et si l’on me laissait le choix de m’en aller d’ici pour guérir, je répondrais sans hésitation : je reste avec mes lépreux toute ma vie ».
Médecin des corps et des âmesPoussé par son désir de soulager la souffrance des lépreux, Damien s’intéresse aux progrès de la science. Il expérimente sur lui-même des nouveaux traitements. Jour après jour, il soigne les malades, panse leurs plaies hideuses. Il réconforte les mourants, enterre dans le cimetière, qu’il appelle « le jardin des morts », ceux qui ont achevé leur calvaire.
Connaissant l’impact de la presse, il n’hésite pas à encourager deux de ses correspondants qui publient livres et articles sur les lépreux de Molokaï. De là naît un grand mouvement de solidarité qui permet d’améliorer encore leur sort.
Sa familiarité avec la souffrance et la mort a affiné en lui le sens de la vie. La paix et l’harmonie profonde qui l’habitent se communiquent alentour. Sa bonté est rayonnante. « Je fais l’impossible, dit-il, pour me montrer toujours gai, pour animer l’âme de mes malades ». Sa foi, son optimisme, sa disponibilité touchent les cœurs. Tous se sentent invités à partager sa joie de vivre, à dépasser, dans la foi, les limites de leur misère en même temps que celles du bout de terre où ils vivent. Appelés à rencontrer un Dieu qui les aime, ils en découvrent, en leur cher Kamiano, l’affectueuse proximité.
Bâtisseur de communautés
« L’enfer de Molokaï », fait d’égoïsme, de désespoir et d’immoralité, se transforme, grâce à Damien, en une communauté qui étonne même le gouvernement. Équipements collectifs, maisons, orphelinats, églises : tout est fait avec l’aide des plus valides. L’hôpital est agrandi, le débarcadère et ses voies d’accès sont aménagés. Une conduite d’eau est posée. Damien ouvre un magasin où les malades peuvent s’approvisionner gratuitement. Il amène son monde à cultiver la terre, à faire pousser des fleurs. Pour les loisirs de ses lépreux, il crée même une fanfare....
Ainsi grâce à sa présence et à son action, ces laissés-pour-compte redécouvrent la joie d’être ensemble. Le don de soi, la fidélité, les valeurs familiales reprennent un sens. L’acceptation de l’autre par nécessité ou par contrainte fait place au respect dû à tout être humain, même horriblement défiguré par la lèpre. Damien leur fait découvrir qu’aux yeux de Dieu tout être humain est infiniment précieux, puisqu’il l’aime comme un Père et qu’en lui tous se découvrent sœurs et frères.
Il est aisé de comprendre que cet homme de communion a dû souffrir de l’absence à ses côtés d’un confrère dont il n’a cessé de réclamer la présence.
Apôtre des « lépreux »
C’est à son cœur de prêtre et de missionnaire qu’a retenti l’appel à servir les lépreux. « Ils sont très hideux à voir, mais ils ont une âme rachetée au prix du sang adorable de notre divin Sauveur. » Damien les fera bénéficier de toutes les richesses de son ministère sacerdotal, les réconciliant avec Dieu et avec eux-mêmes, leur assurant le moyen d’unir leurs souffrances à celles du Christ par la communion à son Corps et à son Sang. Baptêmes, mariages et enterrements sont célébrés avec le souci, d’ouvrir les esprits et les cœurs aux dimensions universelles de l’Église du Christ. Rejetés par la société, les lépreux de Molokaï découvrent que leur maladie leur vaut la sollicitude d’un cœur de prêtre qui leur est totalement dévoué. « Mon plus grand bonheur est de servir le Seigneur dans ses pauvres enfants malades, repoussés par les autres hommes ».
Semeur d’œcuménisme
Damien est avant tout un missionnaire catholique, tout en étant homme de son temps. Convaincu de sa foi, il respecte cependant les convictions religieuses des autres, il les accepte en tant que personnes et reçoit avec joie leur collaboration et leur aide. Le cœur largement ouvert à la plus abjecte misère humaine, il ne fait nulle différence dans son approche et ses soins aux lépreux. Dans ses activités paroissiales ou caritatives, il y a place pour tout le monde. Il compte parmi ses amis — et des meilleurs — le luthérien Meyer, surintendant de la léproserie, l’anglican Clifford, peintre, le libre-penseur Mouritz, médecin à Molokaï, le bouddhiste Goto, léprologue japonais.
Damien est bien plus qu’un philanthrope ou le héros d’un jour ! Les uns et les autres, reconnaissent en lui le serviteur de Dieu, comme il s’est toujours manifesté et respectent sa passion pour le salut des âmes.
« Le monde de la politique et de la presse ne connaît que peu de héros comparables au Père Damien de Molokaï. Il vaudrait la peine de chercher la source d’inspiration de tant d’héroïsme ! ».Voilà comment le Mahatma Gandhi résume les questions que suscite sa vie !
La réponse nous la trouvons dans sa foi qu’il a vécue comme religieux des Sacrés-Cœurs. Damien a reçu la grâce de contempler, de vivre et d’annoncer l’amour miséricordieux de Dieu révélé en Jésus et auquel nous conduit la Vierge Marie. Pour accomplir cette mission, son expérience personnelle, renforcée par la tradition de sa Congrégation, lui fait trouver cette force à la source même de l’amour et de la vie, l’Eucharistie : Jésus, devenu pain de vie, présence vivante et réconfortante de l’amour de Dieu.
Son imitation de Jésus le pousse à s’identifier à ses ouailles. Grâce à l’amour de celui qui ne nous abandonne jamais, il reste fidèle jusqu’au bout, au-delà de la maladie cruelle, de la solitude pénible, des critiques injustes, et de l’incompréhension des siens...
Son témoignage est incontestable : « Sans la présence de notre divin Maître dans ma petite chapelle, je n’aurais jamais pu maintenir mon sort uni à celui des lépreux de Molokaï ».
La voix des sans-voix
Une telle présence au sein des exclus de ce monde, ne pouvait qu’interpeller les consciences. Moins de deux mois après la mort de Damien, se fonde à Londres le « Leprosy Fund », première organisation de lutte contre la lèpre. Rien ne peut justifier l’isolement et l’abandon d’un être humain. « Nous autres lépreux » n’est pas une figure de style,mais la vérité d’une identification avec ceux qui, malgré leur maladie, ne cessent pas d’avoir droit au respect, à la dignité, à l’amour. En partageant la vie des lépreux, en devenant finalement lépreux lui-même, Damien lance un vibrant appel à la solidarité vis-à-vis de tous ceux qu’une maladie, un handicap ou un échec risquent de marginaliser.
La vie et la mort de Damien sont des faits prophétiques. S’ils dénoncent des attitudes contraires au respect des droits de l’homme, ils sont aussi un appel à l’espérance.
Aujourd’hui comme alors, le monde connaît des exclus de tous genres : malades incurables — sidéens ou autres —, enfants abandonnés, jeunes désorientés, femmes exploitées, vieillards délaissés, minorités opprimées... pour tous Damien reste la voix qui rappelle que l’amour infini de Dieu est tout à la fois compassion, confiance et espérance et qui dénonce les injustices. En Damien tous peuvent retrouver le héraut de la bonne Nouvelle. Bon Samaritain, il s’est penché sur ceux que la maladie avait rejetés au bord du chemin. C’est à ce titre que Damien est un exemple pour tout homme et toute femme qui désire s’engager dans la lutte pour un monde plus juste, plus humain, plus conforme au cœur de Dieu.
Serviteur de Dieu, Damien est et restera pour tous le serviteur de l’homme qui plus encore que de vivre a besoin de raison de vivre. Voilà le Damien qui aujourd’hui encore nous défie.
JEANNE JUGAN naît en Bretagne, à Cancale (France), le 25 octobre 1792, en pleine tourmente révolutionnaire, sixième enfant d'une famille de huit dont quatre mourront en bas âge. Son père, marin pêcheur, disparaît en mer alors qu'elle n'a que quatre ans. Sa mère, désormais, élèvera seule ses quatre enfants.
De sa mère, de son terroir natal, Jeanne héritera une foi vive et profonde, un caractère affirmé, une force d'âme qu'aucune difficulté ne parviendra à ébranler. Voici ce qu'on a pu écrire de la foi des Cancalais : « Malgré la persécution, le peuple cancalais avait gardé sa foi. Par une nuit profonde, dans un grenier ou une grange, ou même au milieu de la campagne, les fidèles se réunissaient, et là, dans le silence de la nuit, le recteur réfractaire offrait le saint-sacrifice et baptisait les enfants. Mais ce bonheur était rare, il y avait tant de dangers » .
A cause du climat politique et des difficultés économiques, Jeanne ne peut aller à l'école. Elle apprendra à lire et à écrire tout en apprenant son catéchisme, grâce aux tertiaires eudistes très répandues dans la région. Jeanne appartient à ce monde des pauvres et des petits où, tôt, on connaît la loi du travail. Encore enfant, tout en priant son chapelet, elle garde les troupeaux sur la hauteur qui domine la baie de Cancale, dans un site de beauté qui élève et agrandit son âme. De retour à la maison, elle aide sa mère dans les tâches domestiques. A 15 ans, elle part travailler à 5 km de Cancale dans une maison bourgeoise où, avec la propriétaire, elle ira à la rencontre des nécessiteux. Pauvre elle-même, elle dut deviner quelque chose de l'humiliation que l'on éprouve à être assisté. Elle est aussi mise en contact avec un milieu social différent du sien.
1801 marque une étape importante pour l'Église de France. En signant le Concordat, le 16 juillet, Bonaparte autorise de nouveau la liberté de culte. C'est un véritable réveil spirituel. En 1803, à St Servan (commune de St Malo), l'évêque de Rennes donne la confirmation à plus de 1500 personnes. Beaucoup de missions ont lieu, du type de celles données dans les siècles précédents par St Vincent de Paul, St Jean Eudes ou St Louis-Marie Grignion de Montfort, pour aider à la renaissance religieuse. Une mission a lieu à Cancale en 1816, une autre à St Servan en 1817. L'éloquence des prêtres était « si forte, si pressante, si persuasive que dès 5h du matin jusqu'à19h, nos églises étaient beaucoup trop petites ».
C'est dans ce climat de ferveur que Jeanne entend l'appel du Seigneur. Au jeune homme qui la demande en mariage, elle répond : « Dieu me veut pour lui. Il me garde pour une œuvre qui n'est pas connue, pour une œuvre qui n'est pas encore fondée ». Et comme réponse immédiate, elle fait deux parts de ses vêtements, laisse les plus beaux à ses sœurs et part pour St Servan où, durant 6 ans, son travail d'aide-infirmière la mettra au contact de la misère physique et morale. Elle demande aussi à appartenir au Tiers-Ordre eudiste. Elle y découvrira un christianisme du cœur : « N'avoir qu'une vie, qu'un cœur, qu'une âme, qu'une volonté avec Jésus ». Elle y fera l'expérience d'une vie à la fois active et contemplative centrée sur Jésus. Dès lors, elle n'aura plus qu'un désir : « être humble comme Jésus l'a été ». C'est sa grâce personnelle, la touche qui la caractérise et à laquelle elle répondra de tout son cœur.
Après une épreuve de santé, Jeanne doit quitter l'hôpital et est accueillie par une amie tertiaire, Mlle Lecoq, qu'elle servira pendant 12 années, jusqu'à sa mort en 1835.
En 1839, elle a 47 ans et partage un petit deux-pièces avec deux amies : Françoise Aubert, dite Fanchon, 71 ans, et Virginie Trédaniel, jeune orpheline de 17 ans. La situation économique est des plus mauvaises à St Servan. Sur 10.000 habitants, 4.000 vivent de mendicité. Un bureau de bienfaisance est fondé par l'administration locale. Ne pourront y avoir recours que les pauvres de la commune, à condition de porter au cou un écriteau mentionnant « Pauvre de St Servan ». C'est au plus creux de cette misère que Jeanne va se situer. Dieu l'a attendue dans le pauvre, elle va le rencontrer dans le pauvre. Un soir d'hiver 1839, Jeanne, émue, rencontre une pauvre femme, âgée, aveugle et infirme, qui vient de perdre son unique appui. Jeanne n'hésite pas une seconde. Elle la prend dans ses bras, lui donne son lit et s'en va dormir au grenier. C'est l'étincelle initiale d'un grand feu de charité. Désormais, plus rien ne l'arrêtera. En 1841, elle loue une grande pièce où elle accueille 12 personnes âgées. Des jeunes filles se joignent à elle. En 1842, elle achète — sans argent — un vieux couvent en ruines où bientôt 40 personnes âgées seront hébergées. Pour faire face au problème financier et encouragée par un Frère de St-Jean-de-Dieu, Jeanne se lance sur les routes, panier au bras. Elle se fait mendiante pour les pauvres et fonde son œuvre sur l'abandon à la Providence. En 1845, elle se voit décerner par l'Académie française le Prix Montyon qui récompensait chaque année « un français pauvre ayant fait dans l'année l'action la plus vertueuse ». Puis ce sont les fondations de Rennes et de Dinan en 1846, celle de Tours en 1847, d'Angers en 1850. Nous ne mentionnons ici que les fondations auxquelles Jeanne a participé, car très vite la Congrégation va se répandre en Europe, en Amérique, en Afrique, puis peu de temps après sa mort en Asie et en Océanie.
Mais cette fécondité est le fruit d'un dépouillement total, radical. En 1843, alors que Jeanne venait d'être réélue supérieure, contre toute attente et par sa seule autorité, l'abbé Le Pailleur, conseiller de la première heure, casse l'élection et nomme Marie Jamet (21 ans) à sa place. Jeanne y voit la volonté de Dieu et se soumet. Désormais et jusqu'en 1852, c'est par la quête qu'elle soutiendra son œuvre, allant d'une maison à l'autre, encourageant par son exemple les jeunes sœurs encore inexpérimentées, obtenant les autorisations officielles nécessaires à la survie de l'Institut.
En 1852, l'évêque de Rennes reconnaît officiellement la Congrégation et nomme l'abbé Le Pailleur supérieur général de l'Institut. Son premier geste sera de rappeler définitivement Jeanne Jugan à la maison mère pour une retraite qui durera 27 longues années. Mystère d'enfouissement. A la fin de sa vie, les jeunes sœurs ne sauront même plus qu'elle est la fondatrice. Mais Jeanne, vivant au milieu des novices et postulantes de plus en plus nombreuses en raison de l'extension de la Congrégation, transmettra par sa sérénité, sa sagesse et ses conseils le charisme qui l'habite et qu'elle a reçu du Seigneur. Et cela, dans un constant esprit de louange. Elle pouvait dire en vérité : « Petites, soyez bien petites » ; « C'est si beau d'être pauvre, de ne rien avoir, de tout attendre du bon Dieu » ; « Aimez bien le bon Dieu, il est si bon. Confions-nous en lui » ; « N'oubliez jamais que le Pauvre, c'est notre Seigneur » ; « Ne refusez rien au bon Dieu » ; « Regardez le Pauvre avec compassion et Jésus vous regardera avec bonté ».
Le 29 août 1879, elle s'endort paisiblement dans le Seigneur après avoir prononcé ces dernières paroles : « Père éternel, ouvrez vos portes, aujourd'hui, à la plus misérable de vos petites filles, mais qui a si grande en vie de vous voir !... O Marie, ma bonne Mère, venez à moi. Vous savez que je vous aime et que j'ai bien envie de vous voir».
La Congrégation comptait alors 2400 Petites Sœurs répandues en 177 maisons sur trois continents. « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul, mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit».
Le 13 juillet 1979, Jean-Paul II reconnaît l'héroïcité de ses vertus et la béatifiera, à St Pierre de Rome, le 3 octobre 1982.
JEANNE JUGAN naît en Bretagne, à Cancale (France), le 25 octobre 1792, en pleine tourmente révolutionnaire, sixième enfant d'une famille de huit dont quatre mourront en bas âge. Son père, marin pêcheur, disparaît en mer alors qu'elle n'a que quatre ans. Sa mère, désormais, élèvera seule ses quatre enfants.
De sa mère, de son terroir natal, Jeanne héritera une foi vive et profonde, un caractère affirmé, une force d'âme qu'aucune difficulté ne parviendra à ébranler. Voici ce qu'on a pu écrire de la foi des Cancalais : « Malgré la persécution, le peuple cancalais avait gardé sa foi. Par une nuit profonde, dans un grenier ou une grange, ou même au milieu de la campagne, les fidèles se réunissaient, et là, dans le silence de la nuit, le recteur réfractaire offrait le saint-sacrifice et baptisait les enfants. Mais ce bonheur était rare, il y avait tant de dangers » .
A cause du climat politique et des difficultés économiques, Jeanne ne peut aller à l'école. Elle apprendra à lire et à écrire tout en apprenant son catéchisme, grâce aux tertiaires eudistes très répandues dans la région. Jeanne appartient à ce monde des pauvres et des petits où, tôt, on connaît la loi du travail. Encore enfant, tout en priant son chapelet, elle garde les troupeaux sur la hauteur qui domine la baie de Cancale, dans un site de beauté qui élève et agrandit son âme. De retour à la maison, elle aide sa mère dans les tâches domestiques. A 15 ans, elle part travailler à 5 km de Cancale dans une maison bourgeoise où, avec la propriétaire, elle ira à la rencontre des nécessiteux. Pauvre elle-même, elle dut deviner quelque chose de l'humiliation que l'on éprouve à être assisté. Elle est aussi mise en contact avec un milieu social différent du sien.
1801 marque une étape importante pour l'Église de France. En signant le Concordat, le 16 juillet, Bonaparte autorise de nouveau la liberté de culte. C'est un véritable réveil spirituel. En 1803, à St Servan (commune de St Malo), l'évêque de Rennes donne la confirmation à plus de 1500 personnes. Beaucoup de missions ont lieu, du type de celles données dans les siècles précédents par St Vincent de Paul, St Jean Eudes ou St Louis-Marie Grignion de Montfort, pour aider à la renaissance religieuse. Une mission a lieu à Cancale en 1816, une autre à St Servan en 1817. L'éloquence des prêtres était « si forte, si pressante, si persuasive que dès 5h du matin jusqu'à19h, nos églises étaient beaucoup trop petites ».
C'est dans ce climat de ferveur que Jeanne entend l'appel du Seigneur. Au jeune homme qui la demande en mariage, elle répond : « Dieu me veut pour lui. Il me garde pour une œuvre qui n'est pas connue, pour une œuvre qui n'est pas encore fondée ». Et comme réponse immédiate, elle fait deux parts de ses vêtements, laisse les plus beaux à ses sœurs et part pour St Servan où, durant 6 ans, son travail d'aide-infirmière la mettra au contact de la misère physique et morale. Elle demande aussi à appartenir au Tiers-Ordre eudiste. Elle y découvrira un christianisme du cœur : « N'avoir qu'une vie, qu'un cœur, qu'une âme, qu'une volonté avec Jésus ». Elle y fera l'expérience d'une vie à la fois active et contemplative centrée sur Jésus. Dès lors, elle n'aura plus qu'un désir : « être humble comme Jésus l'a été ». C'est sa grâce personnelle, la touche qui la caractérise et à laquelle elle répondra de tout son cœur.
Après une épreuve de santé, Jeanne doit quitter l'hôpital et est accueillie par une amie tertiaire, Mlle Lecoq, qu'elle servira pendant 12 années, jusqu'à sa mort en 1835.
En 1839, elle a 47 ans et partage un petit deux-pièces avec deux amies : Françoise Aubert, dite Fanchon, 71 ans, et Virginie Trédaniel, jeune orpheline de 17 ans. La situation économique est des plus mauvaises à St Servan. Sur 10.000 habitants, 4.000 vivent de mendicité. Un bureau de bienfaisance est fondé par l'administration locale. Ne pourront y avoir recours que les pauvres de la commune, à condition de porter au cou un écriteau mentionnant « Pauvre de St Servan ». C'est au plus creux de cette misère que Jeanne va se situer. Dieu l'a attendue dans le pauvre, elle va le rencontrer dans le pauvre. Un soir d'hiver 1839, Jeanne, émue, rencontre une pauvre femme, âgée, aveugle et infirme, qui vient de perdre son unique appui. Jeanne n'hésite pas une seconde. Elle la prend dans ses bras, lui donne son lit et s'en va dormir au grenier. C'est l'étincelle initiale d'un grand feu de charité. Désormais, plus rien ne l'arrêtera. En 1841, elle loue une grande pièce où elle accueille 12 personnes âgées. Des jeunes filles se joignent à elle. En 1842, elle achète — sans argent — un vieux couvent en ruines où bientôt 40 personnes âgées seront hébergées. Pour faire face au problème financier et encouragée par un Frère de St-Jean-de-Dieu, Jeanne se lance sur les routes, panier au bras. Elle se fait mendiante pour les pauvres et fonde son œuvre sur l'abandon à la Providence. En 1845, elle se voit décerner par l'Académie française le Prix Montyon qui récompensait chaque année « un français pauvre ayant fait dans l'année l'action la plus vertueuse ». Puis ce sont les fondations de Rennes et de Dinan en 1846, celle de Tours en 1847, d'Angers en 1850. Nous ne mentionnons ici que les fondations auxquelles Jeanne a participé, car très vite la Congrégation va se répandre en Europe, en Amérique, en Afrique, puis peu de temps après sa mort en Asie et en Océanie.
Mais cette fécondité est le fruit d'un dépouillement total, radical. En 1843, alors que Jeanne venait d'être réélue supérieure, contre toute attente et par sa seule autorité, l'abbé Le Pailleur, conseiller de la première heure, casse l'élection et nomme Marie Jamet (21 ans) à sa place. Jeanne y voit la volonté de Dieu et se soumet. Désormais et jusqu'en 1852, c'est par la quête qu'elle soutiendra son œuvre, allant d'une maison à l'autre, encourageant par son exemple les jeunes sœurs encore inexpérimentées, obtenant les autorisations officielles nécessaires à la survie de l'Institut.
En 1852, l'évêque de Rennes reconnaît officiellement la Congrégation et nomme l'abbé Le Pailleur supérieur général de l'Institut. Son premier geste sera de rappeler définitivement Jeanne Jugan à la maison mère pour une retraite qui durera 27 longues années. Mystère d'enfouissement. A la fin de sa vie, les jeunes sœurs ne sauront même plus qu'elle est la fondatrice. Mais Jeanne, vivant au milieu des novices et postulantes de plus en plus nombreuses en raison de l'extension de la Congrégation, transmettra par sa sérénité, sa sagesse et ses conseils le charisme qui l'habite et qu'elle a reçu du Seigneur. Et cela, dans un constant esprit de louange. Elle pouvait dire en vérité : « Petites, soyez bien petites » ; « C'est si beau d'être pauvre, de ne rien avoir, de tout attendre du bon Dieu » ; « Aimez bien le bon Dieu, il est si bon. Confions-nous en lui » ; « N'oubliez jamais que le Pauvre, c'est notre Seigneur » ; « Ne refusez rien au bon Dieu » ; « Regardez le Pauvre avec compassion et Jésus vous regardera avec bonté ».
Le 29 août 1879, elle s'endort paisiblement dans le Seigneur après avoir prononcé ces dernières paroles : « Père éternel, ouvrez vos portes, aujourd'hui, à la plus misérable de vos petites filles, mais qui a si grande en vie de vous voir !... O Marie, ma bonne Mère, venez à moi. Vous savez que je vous aime et que j'ai bien envie de vous voir».
La Congrégation comptait alors 2400 Petites Sœurs répandues en 177 maisons sur trois continents. « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul, mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit».
Le 13 juillet 1979, Jean-Paul II reconnaît l'héroïcité de ses vertus et la béatifiera, à St Pierre de Rome, le 3 octobre 1982.
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